Depuis la réélection de Trump, et du fait du changement de paradigme mondial, nous ne baignons plus dans la mondialisation heureuse, mais assistons à un retour aux rapports de forces, économiques, politiques et militaires. Force est de constater, que si la réalisation de ce changement drastique semble avoir infusé dans nos élites dirigeantes, politiques ou industrielles, les réactions concrètes et les mesures ne sont, hélas pas à la hauteur des enjeux.
Rétablir notre souveraineté industrielle sera long et douloureux, on ne peut restaurer d’un claquement de doigt un environnement favorable à notre tissu industriel après l’avoir méthodiquement détruit pendant des décennies. L’industrie représente moins de 20 % de notre PIB (Industrie Numérique - Répartition des secteurs de l’économie française en 2024), mais si nous nous intéressons à la part manufacturière de l’industrie, nous tombons à 9 % (FranceInfo - Le vrai du faux. La part de l’industrie manufacturière est-elle passée de 14% à 9 % du PIB en quelques années, comme l’affirme Marine Le Pen ?). Ces chiffres ne sont pas reluisants et s’expliquent par différents facteurs, tout d’abord le mythe de l’industrie sans usine, la Chine devenant l’atelier du monde, comme le professait M. Serge Tchuruk (Le Nouvel Obs – Quand le patron d’Alcatel rêvait d’une entreprise « sans usine ») qui a fait beaucoup de mal à l’industrie française, entraînant entre autres une hémorragie de compétences et savoir-faire. S’ajoute à cela l’instauration de la monnaie unique, qui a plombé la compétitivité de nos entreprises, notamment toutes celles produisant des biens de consommation de milieu de gamme du fait de l’alignement sur la valeur forte de l’Europe, le Deutschemark. Rajoutons à ces éléments délétères les 35h dont l’effet sur la compétitivité de nos entreprises se fait encore sentir. S’il restait un reliquat de compétitivité, les politiques énergétiques de ces dernières années se sont chargés de le supprimer. Notre modèle de production électrique à bas coût avec le mix nucléaire et hydro-électrique (renouvelable pilotable) nous offrait un avantage compétitif que nous avons délibérément sabordé pour des raisons idéologiques et pour satisfaire l’Allemagne au profit des renouvelables non pilotables, avec en plus le marché unique de l’énergique.
N’oublions pas non plus deux tendances très françaises, la surtransposition des directives européennes dans tous les domaines qui rend la tâche de nos industries encore plus difficile et l’amas de normes qui empêche des projets industriels de voir le jour dans une échelle de temps raisonnable.Nous demandons donc à nos entreprises de participer à la concurrence mondiale avec des handicaps vertigineux. Et ce ne sont pas les sommets « Choose France » qui vont changer quoique ce soit dans la réindustrialisation. Encore un anglicisme pour masquer une réalité peut reluisante de l’action du premier des Français qui est la vente à la criée de nos PME ou Start-ups innovantes.
Cependant, le chamboulement imposé par la transformation numérique de notre économie ajoute une couche de danger trop souvent ignorée. Il s’agit de notre dépendance aux technologies numériques étrangères (Américaines et Chinoises principalement). Il est même légitime de se poser la question du rôle de nombreuses personnalités politiques dans ce qui s’apparente à un sabotage systématique de l’industrie française et donc de sa puissance. En effet, depuis la seconde guerre mondiale, on sait que les États-Unis n’avaient aucune envie de permettre aux deux anciens empires de reconstituer leur puissance. Pour ce faire, piloté directement par les États-Unis au travers de deux personnalités françaises controversées, ils ont initiés de le piège de l’Union Européenne (« J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu » Philippe de Villiers – Edition Pluriel). La deuxième lame de l’asservissement du continent européen au diktat Américain a été la numérisation de l’économie et la supériorité construite méthodiquement de leurs géants du numériques par l’oubli de leurs propres lois anti-trust, qui en font des entités financièrement plus puissantes que bien des états.
Depuis plus de vingt ans le numérique a pris une place de plus en plus grande dans notre économie pour en devenir une fondation essentielle. J’ai conscience que beaucoup trouveront cette affirmation exagérée, mais essayons de lister, de façon non exhaustive les tâches qui avec des 1 ou des 0 dans un monde virtuel se traduisent par des architectures physiques dans notre monde. Une grande partie de notre économie repose désormais sur le numérique et l’arrivée en force de l’IA générative accroît l’importance du numérique dans la conceptualisation de l’industrie. Pour retrouver une souveraineté industrielle, il ne suffira pas de ré-implanter des industries qui ont quitté la France lors de la désindustrialisation ou d’en implanter de nouvelles, mais il nous faudra nous assurer que ces dernières disposent d’une fondation numérique souveraine solide, et je vais essayer de vous faire toucher du doigt le pourquoi et la difficulté de sa mise en place.
Nous allons voir quelques exemples concrets, mais non exhaustifs afin de comprendre les risques que font courir la non maîtrise des technologies numériques et une dépendance à des solutions étrangères proposées par les États-Unis et la Chine. Pour mémoire, les pays non pas d’amis au mieux des alliés de circonstances et ne pas le prendre en compte dans nos choix technologiques, cela peut s’avérer mortifère. La Chine ne peut plus être ignorée et représente elle aussi un péril indéniable, pendant longtemps minoré et ignoré. Il était facile et pratique de ne les considérer que comme des petites mains peu techniques pour être l’atelier du monde. Leur avoir donné les clefs de notre avance technologique, pour un gain financier court-termiste, a été une erreur qui nous sera probablement fatale, ils ont pris de l’avance dans de nombreux champs technologiques et leur esprit de revanche ne fait guère de doute.
Tout d’abord côté matériels (par exemple switchs, routeurs, firewals etc.), le fait que leur fabrication soit essentiellement chinoise (Taiwan ou Chine) ou encore américaine (avec des composants des 2 premières) pose la question de ce qu’on appelle des « Back-doors » qui permettent de pénétrer les systèmes d’informations par le biais de votre PC ou smartphone. Pour vos infrastructure, il est clair qu’il peut être difficile, voire impossible de se passer de ces fournisseurs. Rien ne nous empêche cependant d’avoir une stratégie à plusieurs étages pour rendre plus difficile la pénétration de vos infrastructures, par exemple en utilisant une solution souveraine d’analyse de flux toxiques entrants et sortants (Serenicity – Detoxio par exemple), en plus d’équipements américains ou chinois s’ils s’avère indispensables.
Du côté cloud, puisque désormais le modèle est à la centralisation (à l’opposé de l’idée initiale d’internet qui se voulait un réseau décentralisé pour favoriser la résilience des communications), la question qu’il faut se poser est qui est notre fournisseur. Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que les États-Unis se sont dotés d’un arsenal de lois extraterritoriales qui leur permettent de venir se servir dans vos données sans que vous le sachiez. Ils peuvent également interrompre votre service, vous privant en un instant de l’accès à votre messagerie ou à vos données dans votre cloud . Si ce risque vous paraît complotiste, demandez aux quatre juges de la Cour Pénale Internationale qui ont vu leurs accès à O365 coupé du jour au lendemain. Ils n’avaient plus accès à leurs données, mais ils étaient bien les seuls, je pense que les services de renseignements américains, n’avaient pas le même problème (« Ce que révèlent les sanctions américaines contre les juges de la cour pénale internationale » – Le club des juristes). D’autres pratiques américaines permettent d’utiliser leurs lois anticorruption afin de fragiliser des entreprises, de préférence européennes (bizarrement le nombre d’entreprises américaines visées est ridiculement bas), pour leur faire perdre des marchés ou leur imposer des sanctions financières astronomiques (les banques, par exemple) ou encore permettre le rachat litigieux d’entreprise françaises stratégiques, avec, il faut le dire la complicité, de personnalités politiques de premier plan, je veux parler de l’affaire Alstom (« Le piège américain » - Frédéric Pierucci)
Passons aux logiciels. Désormais la plupart des solutions logicielles que vous utilisez sont des Saas (Solution as a Service) et donc vous ne les achetez pas vous les louez. Une entreprise norvégienne leader dans les transports public, après des tests de cyber sécurité effectué par une entreprise mandatée s’est aperçue que les bus électriques chinois Yutong possèdent un « kill‑switch » permettant de les désactiver à distance, suscitant d’importantes inquiétudes sécuritaires en Europe (APNews – « Norway transport firm steps up controls after tests show chinese made buses can be halted remotely »). Vous me direz, nous ne sommes pas concerné en France, en êtes-vous si sûr ? Renault ne revendiquent-ils pas avec fierté qu’ils sont Google pour leur plateforme digitale de leurs véhicules neufs (L’Edito d’Effisyn-sds – Non aux véhicules électriques, chevaux de troie des GAFAMs !) ? Que croyez qu’il pourrait se passer, si soudainement le président américain considérait que Renault représentait un danger réel ou supposé pour les États-Unis (commerce avec la Chine, le Pakistan, l’Afghanistan, etc.) et qu’il décidait d’interdire à toute entreprise américaine ou citoyen de fournir bien ou service à l’entreprise visée… Vos voitures deviendrait bien inutiles…
Je pourrais continuer à donner des exemples multiples, dans le domaine de la défense, avoir des armements américains, le F-35 par exemple c’est être condamner à avoir un système d’armes que vous ne pourrez utiliser qu’avec l’autorisation bienveillante et explicite des États-Unis, dommage pour les Allemands, les Belges, les Suisses et bien d’autres encore qui ont fait ce choix.
Dans de nombreux secteurs industriels, il devient nécessaire de créer des doubles numériques de son usine, ou bâtiment afin d’en améliorer les performances, la maintenance ou ces évolutions. Peut-on décemment ne pas se poser la question de la localisation de ces données stratégiques, où sont-elles hébergés, sous quelle législation elles tombent ?
Pour bâtir notre souveraineté industrielle, s’il est important d’avoir une politique avisée sur ces approvisionnements en matières ou matériels nécessaires à sa production, il faut considérer la création et la maintenance de son système d’information comme d’un actif stratégique, comme il est aussi indispensable d’avoir une cartographie de son patrimoine de données, puisqu’elles deviennent un enjeux stratégiques.
Il est donc incontestable qu’un renouveau industriel durable et sécurisé doit se construire avec des acteurs du numérique français souverains, non assujettis aux solutions américaines. Mais cela ne s’arrête pas à l’entité entreprise, puisque dorénavant nombre de flux numériques lient les entreprises avec leurs fournisseurs et clients. Il est donc impératif de cartographier ces différents flux numériques, d’analyser ses flux pour prévenir toute action hostile et de bien avoir audité et contractualisé la relation avec chacune des parties prenantes (client ou fournisseur) pour se prémunir de ces actions hostiles potentielles. La numérisation des relations commerciales avec notamment l’extension à l’ensemble des entreprises de la e-facturation implique une analyse poussée des intermédiaires à l’aune du risque d’exposition aux lois extraterritoriales (« e‑facturation surtransposition française : quelles menaces pour nos entreprises ? » - Smartrezo – E. Mawet). Pour les entreprises sensibles, l’accès à vos données concernant vos fournisseurs et votre relation avec ces derniers peu attirer les convoitises de concurrents ou d’états utilisant leur services de renseignement dans le cadre de la guerre économique.
Il est temps que nos dirigeants d’entreprise et l’état français prennent conscience que la souveraineté numérique n’est pas une lubie mais une nécessité vitale afin de reconquérir notre souveraineté industrielle.